Le 30 octobre 2021 à 16h, veille de la célébration du 1er Novembre 1954 qui marque l’insurrection, le déclenchement de la Guerre d’Algérie, à Le Dk, en collaboration avec Krasnyi Collective, LABA asbl organisait une projection-rencontre-débat autour du film «Octobre à Paris» de Jacques Panijel et de l’exposition photos de Karim Brikci Nigassa, dessins de Manu Scordia et Thibaut Dramais, tous les trois membres du Collectif. Suivi d’une rencontre débat avec un témoin de 1961 et un intermède musical avec Mousse Ouriaghli et le Slameur Guy de Haleux.
Article rédigé par Ghezala CHERIFI – Présidente de LABA asbl
Contexte :
Paris, 17 octobre 1961, 20h30, malgré la pluie et le temps glacial, à cinq mois de la fin de la guerre d’Algérie alors que le Général De Gaul négocie avec le Gouvernement provisoire algérien, à l’appel de la Fédération de France du FLN (Front de Libération National), 20 000 à 30 000 Algériens qu’on appelait les Français musulmans d’Algérie, ont décidé de braver l’interdit et convergent sur Paris pour manifester pacifiquement dans la capitale. Hommes, femmes et enfants habillés avec leur plus beau vêtement du dimanche, sans arme ou canif, même une épingle à nourrice, ou battons et ne pas répondre à la provocation des policiers, c’était le mot d’ordre.
« Nous savons qu’il y aura peut-être des provocations et que la police tirera. C’est à peu près inévitable. Ca nous coûtera cher, il y aura peut-être des expulsions et des arrestations. Mais les Français sauront que nous sommes à bout, et que la seule manière d’en finir avec notre problème, c’est d’en finir avec la guerre d’Algérie » (1)
Ils venaient à pied, en métro ou en bus de banlieue, des bidonvilles ou quartiers périphériques où ils étaient parqués dans des baraquements de bois ou de tôles sans électricité et eaux en pleine boue sans rue ou trottoir, pour protester contre le couvre-feu raciste et discriminatoire qui leur est principalement imposé par le préfet de Police Maurice Papon et réclamer l’indépendance de l’Algérie à l’instar des manifestations de leur compatriotes en Algérie face au colonialisme français. Maurice Papon dont le nom est pour toujours associé à cette répression sanglante, mais également à la collaboration et au régime de Vichy.
Petit rappel historique :
L’Algérie est encore sous colonisation française depuis 1830 où les bateaux français ont débarqué sur Alger, la soufflette d’éventail de Hussein dey d’Alger au Consul de France, trois années auparavant, le 30 avril 1827, en a été le prétexte, c’était le début de la conquête française en Algérie alors qu’en cette année 1830, et j’ouvre une parenthèse, la Belgique prend son indépendance du Royaume des Pays-Bas le 4 octobre, un des liens historique qui nous relie ici à notre chère Belgique, car il y en a d’autres et qui pourront faire l’objet d’un autre article.
Je ne peux faire fi non plus de la dernière déclaration du Président Emmanuel Macron remettant en question l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation française, la désignation de Consuls de France successifs prouve, l’existence d’un État algérien bien avant la colonisation française en Algérie, explication soutenue par plusieurs personnalités dont l’historien Benjamin Stora, que j’avais invité pour une conférence le 5 juillet 2011 dans le cadre de LABA asbl pour sa première venue à Bruxelles et dont la mission lui a été confié par le président français de présenter un rapport sur « la mémoire de la colonisation et la guerre d’Algérie », ou encore Fabrice Riceputi, auteur de « Ici on noya les Algériens », parus le 2 septembre de cette année pour les 60 ans du 17 octobre 1961, sujet de ma présentation aujourd’hui.
Le couvre-feu instauré uniquement aux Français musulmans d’Algérie avait pour cible le contrôle et empêcher les activistes algériens dans cette période difficile de la guerre d’Algérie, d’attentats en France par le FLN qui recrutait et récoltait de l’argent parmi les travailleurs algériens surtout le soir. Seulement ces Algériens n’étaient pas tous des activistes et avaient comme tout citoyen français ou autre besoin de sortir après 20h pour tout simplement aller au cinéma, boire un verre, voir des ami.es ou encore plus impératif, se rendre en urgence à l’hôpital ou appeler un médecin.
Nous en avons vécu des couvre-feux durant les confinements de la Covid-19 dans des conditions de paix, de meilleure prospérité et bien plus agréables que celles vécus il y a 60 ans par cette première génération de travailleurs immigrés algériens et beaucoup d’entre nous n’arrivaient pas à le supporter.
Le dispositif de police est impressionnant et les interpellations ont commencé dès le début de la journée. Tous les accès vers Paris, les bouches de métro, les arrêts de bus sont cernés par les policiers et embarqués dans des bus réquisitionnés de la RATP, ceux-là même qui avait été utilisés en 1942 pour conduire les juifs raflés aux portes du Vel d’Hiv. Les autorités françaises avaient la ferme intention de couper la route à tout.e manifestant.e quelle qu’il soit et à user des moyens les plus tortionnaires, répressifs et violents.
Au lendemain, du massacre de cette nuit noire pour les Algériens à Paris, Jacques Panijel, commence le tournage de “Octobre à Paris” pour alerter l’opinion sur la tuerie qui vient de se produire dans les rues de Paris alors que le bilan officiel déclare trois morts et une soixantaine de blessés, on est très loin de la réalité selon les historiens dont Jean-Luc Einaudi qui par son travail militant a été le premier à dénoncer ce mensonge d’État, il faut lui rendre hommage.
La presse complice, annoncera une cinquantaine de blessés sur les plus de 200, voire 300 morts car beaucoup n’ont pas été retrouvés passant sous silence une des plus meurtrières répressions de l’État de l’histoire de France dont les faits n’ont été reconnus que depuis peu par la France. Il a fallu attendre 1998 pour estimer à au moins 48 tout en sachant que le rapport ne pouvait avec exactitude donner le nombre exact de morts.
Sans distinction aucune, alors qu’ils manifestaient en famille, personne n’a été épargnée et en toute impunité durant toute la nuit et les jours précédents. Arrestation et début des violences, hommes, femmes voir, bébés, enfants, ont été battus et jetés dans la Seine vivants ou parfois pieds et poings liés. Certains ont été abattus par balle. Des brutalités des plus inhumaines et meurtrières ont été sans limite, torture, coup de matraque, bastonnade policière et de harkis à plusieurs sur une personne, coup de mitraillette, mis à nus des personnes soit sur le sol glacé ou sur des verres brisés et du charbon, d’autres attachés assis sous une bouteille de verre sur les parties intimes, lancement de l’eau de javel, …
Jacques Panijel s’acharne pour tout dénoncer, composé de captations documentaires, d’interviews de manifestants et de reconstitutions, le film que nous allons projeter ce 30 octobre 2021 a été censuré dès 1962, année de l’indépendance d’Algérie, il est menacé de poursuite. Il a fallu attendre bien des années après la fin de la guerre d’Algérie en 1973 pour la levée de l’interdiction après une grève de la faim du cinéaste et de l’ancien résistant, réalisateur anticolonialiste René Vautier, pour que le film obtient son visa d’exploitation, il pouvait enfin être diffusé.
Ce massacre en règle a donné date à la Journée de l’immigration algérienne. Un oubli volontaire, un mensonge d’État, occulté nous dit l’historien français Patrick Boucheron. Un massacre en toute impunité, longtemps occulté de la mémoire collective où des centaines d’Algériens ont été jetés à la Seine depuis le pont Saint-Michel, une page les plus sombres de l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale et de la Vè République depuis la répression de la Commune de Paris en 1871.
Les familles victimes de ce massacre n’ont pas pu en parler pendant longtemps, un silence comme un sujet tabou des sévices et humiliations qu’ils ont subis pour préserver leurs enfants de la haine contre les Français.
En 2012, le président François Hollande avait fait un geste en rendant hommage aux victimes, mais sans parler de «crime». Emanuel Macron pour les 60 ans a parlé de “crime inexcusable” mais la campagne électorale présidentiel et la pression de la droite française et des enfants d’appelés de la guerre d’Algérie obligent, le Président à ne pas reconnaître “ce crime d’État”.
“Ce massacre demeure consciemment occulté, démonstration de la haine de classe et du racisme qui imprègne toujours la lecture de l’histoire officielle ” (2) et toujours d’actualité en ces 40 ans de la Loi Moureaux.
(1) Déclaration d’un syndicaliste algérien le 17 octobre dans le Journal Afrique Action, extrait du recueil de Karim Brikci Niggassa, auteur de l’Expo photos sur la répression du 17 octobre 1971, de Krasnyi Collective que vous pouvez voir encore jusqu’au 30 octobre lors de notre rencontre-débat à Le DK à Saint-Gilles.
(2) Extrait du recueil de Karim Brikci Nigassa.
Nous remercions toutes les personnes présentes à la rencontre d’hommage qui s’est déroulée le 30 octobre 2021 pour les 60 ans du massacre du 17 octobre 1961 d’Algériens à Paris.
Nous sommes ravis de voir un public aussi intéressé, participatif et nombreux, la salle était comble. Un public intergénérationnel où la première génération de parents et les petits-enfants ensemble, comme avec la famille Guerrab, Fatima, ses parents et sa nièce, venus de La Louvière pour cet événement et nous les en remercions, la maman de la Présidente et sa fille, trois générations présentes, un public très divers où Algériens, Belges, Marocains, Tunisiens nous ont honorés de leur présence et ont pu découvrir avec émotion ce moment d’histoire qu’ils ne connaissaient pas. La projection du film “Octobre à Paris ” de Jacques Panijel était particulièrement émouvant, bouleversant et révélateur d’actes racistes et de haine, de violence policière de la France coloniale du siècle passé qui ne nous éloigne pas trop d’une certaine réalité et en cette année des 40 ans de la Loi Moureaux.
Une belle découverte avec nos deux artistes, Mousse Ouriaghli et Guy de Halleux qui ont ravi les cœurs avec leur prestation déclamée et chantée, une belle symbiose dans l’esprit du vivre ensemble et des libertés.
Nous remercions l’apport dévoué de nos bénévoles qui vous ont accueillis chaleureusement, Karima Dakir, Soumaya Nigra, Anissa, Dora Djedidi et Chirine Mameche.
L’excellente collaboration du Dk et de Krasnyi Collective, Karim Brikci-Nigassa Renauld et Tom.
Belle visite en images et extrait de captation filmé :
Exposition photos de Karim Brikci-Nigassa, dessins de Manu Scordia et Thibaut Dramais. Cliquer sur les photos pour les agrandir.